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14 août 2022

Sidhe, Tome 3 : Double vue.


Titre : Sidhe, Tome 3 : Double vue.
Auteur : Sandy Williams.
Genre : Bit-lit.
Edition : Milady.
Nombre de page : 454 pages.
Prix : 8,20€.


Résumé :

Une guerre sanglante, un amour impossible.

 McKenzie est une diseuse d'ombres, mais son inestimable don n'a cessé de mettre sa vie et celles de son entourage en péril. Déchirée entre le fae qu'elle aime et celui auquel elle est liée, la jeune femme doit faire la lumière sur les dessous de la guerre si elle veut y mettre un terme. Armée de dangereux secrets et épaulée par de puissants alliés, par ses actes elle divisera le Royaume à tout jamais... à moins qu'elle le sauve.


Extrait :

 Je me rends compte une seconde plus tard que je n'aurais rien dû dire. J'ai obéi à mon besoin de rassurer Kyol, mais le visage d'Aren se ferme et je devine ce qu'il pense : je ne suis pas de son côté. Je suis du côté de l'homme avec qui j'ai formé un lien.
- Aren...
- J'en apprendrai plus à Corrist, dit-il. Je vous enverrai des vêtements secs et des vivres.
- Non, intervient Kyol. Tu vas rester avec McKenzie.
Aren tourne lentement la tête vers le seigneur général de Lena. Les émotions de Kyol sont stables et calmes à présent. Il 'en va pas de même pour celles d'Aren. La tension de ses muscles me saute aux yeux comme si c'était nous que le lien unissait. Techniquement, Kyol est le supérieur hiérarchique d'Aren, mais je ne pense pas qu'il lui ait souvent donné des ordres. À vrai dire, je doute qu'ils aient été souvent en contact ces dernières semaines.
- Je vais y aller, insiste Aren. Tu escorteras McKenzie jusqu'à Corrist. Le trajet devrait être assez sûr.
Ce sera un long voyage, une journée entière de marche. De quoi me laisser le temps de découvrir ce que je peux faire pour récupérer Aren.
- Non, dit Kyol.
S'il s'était agi d'un autre qu'Aren, il aurait su que ce n'est pas la peine de discuter avec Kyol quand il parle sur ce ton. Même la pluie cesse de tomber, presque comme si elle se pliait à la voix autoritaire de Kyol.
Mais on ne refait pas Aren, et bien qu'il soit désormais membre du gouvernement légitime du Royaume, il reste un rebelle dans l'âme.
- J'ouvre une fissure, dit-il. Si tu choisis de m'imiter, ce sera toi qui la laisseras seule.
Un rai de lumière blanche fend le vide à côté de lui.
- Attends ! aboie Kyol. Emmène-là juste hors de la ville. Je te rejoindrai à l'approche du bâtiment le plus à l'ouest de Tholm.
Puis avant qu'Aren ait pu entrer dans sa fissure, Kyol en ouvre une à son tour et disparaît.
Aren jure.
- Je ne suis pas si repoussante que ça, si ? je demande sur un ton léger.
Aren pose ses yeux argentés sur moi et me fait comprendre au regard qu'il me jette derrière ses cils sombres que ce que je viens de dire est ridicule. Je me contente d'un minuscule haussement d'épaules enserre mon corps secoué de frissons et me mets à marcher.
- Était-ce vraiment nécessaire que tu te débarrasses de tes chaussures et de ta cape ? me demande Aren en m'emboîtant le pas.
Il observe mes pieds nus. Ce n'était pas une erreur de jeter mes chaussures - mes orteils étaient déjà gourds et j'ai une meilleure prise sur le sol sans - mais retirer la cape en a peut-être été une.
Au lieu de l'admettre, je dis :
- Tu as retiré la tienne.
- C'est plus facile de se déplacer sans.
- Exactement.
- Sans compter que je peux me tenir chaud, dit-il.
- Si tu as envie de me tenir chaud, c'est quand tu veux.
Même dans le noir, je vois une étincelle briller dans ses yeux argentés quand il me regarde.
- Tu as décidé de rendre les choses difficiles, n'est-ce pas ?
Nous nous engageons sur un pont incurvé en pierre.
- Si tu fais allusion au fait que tu m'as larguée, alors oui.
- Tu as rendu les choses aussi difficiles pour Taltrayn ?
- Je...
Cette question me prend de court, et je ne sais pas trop comment y répondre. Avec Kyol, je savais pourquoi il gardait ses distances. J'en respectais même la raison, et je croyais au début que la culture humaine nuisait au Royaume. Au fil des années, j'ai commencé à en douter, mais je n'ai jamais douté de Kyol. Il était noble et n'avait qu'une parole, et à chaque fois qu'il m'a dit qu'on ne pouvait pas être ensemble, j'ai essayé de tourner la page.
Je regarde Aren tandis que nous passons au-dessus d'un canal. Je n'ai aucune envie de tourner la page à présent.
- Je ne les ai pas rendues faciles, dis-je enfin, me focalisant sur la longue allée devant nous.
Nous approchons de la limite de la ville. Les maisons sont plus larges, les devantures des échoppes moins collées les unes aux autres, et même si plusieurs heures nous séparent encore de l'aube, les ombres entre les bâtiments ne semblent pas aussi épaisses ici.
Mais il fait toujours un froid glacial, et Aren ne s'est pas rapproché d'un centimètre.
Je cesse de marcher et me tourne vers lui.
- Et si tu me disais ce qui ne va pas ?
Presque à contrecœur, il soutient mon regard.
- Je ne comprends pas pourquoi tu es ici, dit-il. Tu as la vie normale que tu as toujours voulue.
Sans détourner les yeux, je penche la tête de côté.
- Tu ne sais donc pas que je ne pourrai jamais être une humaine normale ?
Au sourire qui naît sur son visage, je vois qu'il reconnaît ces mots. C'est ce qu'il m'a dit il y a deux mois, juste après l'attaque des miliciens en Allemagne. Je luttais encore contre mon attirance pour lui, m'accrochant à l'espoir que je lisais les ombres pour un roi bon et honnête.- Écoute, dis-je. Tu as dit qu'il me fallait du temps pour appréhender le lien. Il s'est écoulé presque un mois. C'est bon, j'ai compris. Même si Kyol est dans ma tête et qu'on est dans le même monde, je ne me suis pas jetée dans ses bras.
- Non, dit-il, mais tu en as envie.
- Bon sang, arrête... arrête de me dicter ce dont j'ai envie ! Et ne renonce pas à nous si vite.
- Tu crois que c'est facile ? dit-il. (Son agitation perce dans le ton de sa voix.) Tu penses que ça me fait plaisir de savoir qu'il sait où tu es à chaque instant ? Qu'il sait quand tu as des ennuis, quand tu es triste ou effrayée ? (Il m'empoigne les bras et me pousse avec douceur contre une façade en pierre.) Il sent ton désir, McKenzie.
Il penche la tête et rapproche ses lèvres des miennes.
- Il sait quand on se touche, quand on s'embrasse. Il saura si on fait l'amour. C'est ce que tu veux ? Tu supporterais de le blesser ainsi ?
- Je peux contrôler ça, dit-je, les yeux rivés sur ses lèvres. Je trouverai un moyen de le contrôler.
Il part d'un petit rire sensuel tout en se rapprochant de moi, puis me chuchote à l'oreille :
- S'il y a bien une chose que je ne veux pas, c'est que tu te contrôles quand tu es avec moi.
Je n'ai plus froid. À ses mots, mon corps s'embrase et je tourne le visage vers lui quand il s'écarte. Il me tient toujours, mais il pourrait me lâcher et partir à tout moment.
- Tu as les lèvres bleues, dit-il à voix basse.
- Il y a un remède contre ça.
Des frissons me prennent au ventre lorsqu'il croise de nouveau mon regard. Même trempé par la pluie et dissimulé dans l'ombre, il est superbe. Il est tout habillé et l'air est froid, mais on croirait qu'il sort d'un douche brûlante. Ses cheveux sont plus sombres que d'habitude, et les mèches mouillées qui bouclent légèrement lui prêtent un air décontracté et séduisant.
Il déglutit.
- S'il te plaît, McKenzie. J'essaie de prendre la bonne décision.
C'est entre autres pour ça que je l'aime. Il veut racheter un passé qu'il regrette, être un homme bien, et je pense que ça peut expliquer pourquoi il me repousse. Les faes respectent le caractère sacré d'un lien plus que les humains ne respectent celui du mariage, et dans son esprit, le simple fait de me toucher est une violation de la connexion que j'ai avec Kyol.
Mais Naito et Kelia se moquaient de ça. Et en ce moment précis, moi aussi. J'attrape Aren par le haut de sa cuirasse et l'attire plus près.
- Je suis la bonne décision, Aren.
Moi qui pensais avoir les lèvres engourdies, je me trompais. Je sens la pression ferme et délicieuse de la bouche d'Aren contre la mienne. La magie dont il se sert pour se réchauffer se propage en moi et des éclats de chaos mettent le feu à ma peau, si vifs et chauds que je sursaute. Je le sens trembler à son tour et m'étreindre plus fort, une main dans mes cheveux mouillés tandis qu'il fait courir l'autre le long de mon dos. Il la plaque sur mes fesses et me presse contre lui.
Nos armures en jaedric protègent nos deux corps. Je meurs d'envie de lui retirer la sienne, de caresser la surface ferme de son torse et les lignes de son ventre. Je l'ai déjà vu torse nu ; je veux le toucher. Nu et chaud, à la lueur de mes éclats de chaos.
Il mordille ma lèvre inférieure puis la suçote entre ses dents, mais alors même que son baiser plus appuyé m'arrache un gémissement, je sens qu'il se contient.
J'avance la main dans l'intention de la refermer sur ses cheveux, mais il arrête mon geste en me saisissant le poignet et met fin à notre baiser.
- Je ne peux pas, chuchote-t-il.
- On peut, Aren. S'il te plaît.
- Non, ce serait... Je ne peux pas, c'est tout. Je suis désolé.
Il m'enlace et pose le menton sur ma tête, m'empêchant de reprendre le baiser. La joue appuyée contre son torse, j'écoute les battements réguliers de son cœur.
- Je trouverai un moyen de rompre le lien, lui dis-je.
- Il n'y a qu'une seule façon d'y mettre un terme, McKenzie, dit-il, et la douleur dans sa voix me blesse comme si on m'avait planté une épée dans le ventre.
Je ferme les yeux et me mords la lèvre inférieure tandis que je m'imprègne de sa chaleur. Ce qu'il dit ne peut pas être vrai. Je refuse de le croire, car si c'est le cas, je ne pourrai me libérer de Kyol que si l'un de nous meurt.


Avis :

 L’univers de cette trilogie est très original, entre fantasy et romance, sur des histoires politiques et de pouvoir ; la base et ses développements se perfectionnent au fil des pages. Dans ce dernier volume, l’héroïne tente d’avoir une vie normale malgré son don de double vue. En effet, McKenzie est une diseuse d’ombres, elle voit les faes et les traces qu’ils laissent derrière eux. Sauf que la guerre n’est pas terminée, les ex-rebelles et ceux qui se sont alliés à eux doivent reprendre les armes et dénouer les secrets des individus voulant récupérer le Royaume. Il y a toujours le triangle amoureux, cet aspect me dérange, et principalement pour un Urban Fantasy, j’ai la sensation de revenir dans des clichés de jeunesse. En dehors de ça, la romance semble plus distante en comparaison du tome précédent, une construction plus à même de plaire à un public général. Cette conclusion est fortement surprenante, clairement, je suis très satisfaite par celle-ci, malgré des moments parfois vagues où les informations sur les affaires d’État prennent le dessus sur l’action et les combats. J’ai rencontré quelques longueurs de temps en temps, toutefois ce roman se dévore avec plaisir.

McKenzie essaye d’abandonner le monde des faes, elle trouve un travail d’humain où elle s’ennuie, mais gagne un salaire et survient à ses premiers besoins. Malheureusement, le Royaume la poursuit, l’homme dont elle est amoureuse en fait partie et un lien s’est créé avec Kyol. Alors, les vacances ne sont pas pour tout de suite, elle doit repartir aider ses amis. Ses doutes sont moindres, bien plus sûre d’elle-même et des décisions qu’elle prend. Cependant, elle se questionne sur Aren et ses évitements ; elle n’hésite plus et lui pose un ultimatum. Son cœur oscille dans deux directions différentes, McKenzie est néanmoins consciente que sa connexion avec son premier amour est en grande partie magique. Elle a choisi d’être avec Aren, et elle va se battre pour leur relation. J’ai beaucoup aimé cette force en elle, un esprit libre et très déterminé. Sur ce dernier ouvrage, c’est réellement une héroïne, elle devient une guerrière et une sauveuse. Je l’ai admiré tout au long de l’œuvre, cette femme est sensible, dotée pourtant d’un courage initiatique.

Aren est un personnage légèrement absent au début de ce troisième volume, et plus le récit avance, et plus on ressent ses silences, ses secrets. Un héros difficile à cerner durant ses passages, au moment des révélations, j’ai réussi à comprendre ses choix, sa distance envers McKenzie. Ses sentiments se révèlent puissants, alors sa résistance est mise à rude épreuve. J’ai bien aimé Aren, un soldat prêt à tout pour protéger les siens. Sur cette suite, sa personnalité est ouverte ; mais son charme du premier tome est totalement estompé. Un homme bon, énigmatique sur plusieurs chapitres, ses pensées deviennent plus claires et précises dans ses confidences, son caractère de rebelle offre de la liberté et des questions. Un personnage unique, différent, un fae transmettant des émotions et presque admirable pour ses sacrifices. En dépit de sa force, le fait qu’il préfère abandonner sa relation avec McKenzie plutôt que de se battre est un brin décevant venant de ce lui. Aren, mystérieux et sensible, laisse une petite trace sur mon cœur.

Kyol est aussi un protagoniste important dans l’histoire, je le loge à la même enseigne que Aren dans ses apparitions. Néanmoins, je n’accroche pas vraiment avec lui, il donne l’impression d’être seulement « amoureux ». Ses sentiments sont beaucoup trop mis en avant, cela ne laisse pas apercevoir son tempérament réel. Sa présence dans cette œuvre est essentielle, en revanche, je n’ai pas apprécié la façon dont il est développé. Il se montre languissant et, quémandeur, je ne supporte pas les héros dans l’attente comme lui. Il doit tourner la page, malgré le lien et le passé ; heureusement, il sait poser des barrières pour tenir au loin ses souffrances. Kyol est un fae puissant, un combattant hors pair, et comme Aren ; il veut mettre ses proches à l’abri du danger. Sauf qu’il est aussi très dominé par le pouvoir de son royaume, sous l’autorité d’un roi ou d’une reine ; du coup, il ne se préserve pas lui-même. J’ai la sensation qu’il se pense invincible, au-delà de la mort ; c’est forcément présomptueux et gênant.

Cette lecture de « Double vue » ne m’a pas laissée indifférente, principalement en raison du suspense et des rebondissements. Certaines révélations sont totalement surprenantes, et même sur la conclusion le mystère reste entier sur certaines péripéties, comme celle de Paige. Certes, parfois le style est quelquefois pesant, surtout avec les histoires politiques ; cela augmente la perception d’avoir des longueurs inutiles où le manque d’action se fait attendre. Les relations entre chaque personnage sont dans l’ensemble plaisantes, en dépit du triangle amoureux pas toujours agréable. C’est d’ailleurs l’aspect insupportable dans un urban-fantasy. Dans le fond, l’univers de cette saga est à mon goût inédit, le récit en lui-même est captivant et rempli de richesse, on est dans un mixe d’action, de magie, de romance et de stratégie. Les émotions ne sont pas touchantes, toutefois, ce tome met nos nerfs à rude épreuve ; la tension est électrique et indéfinissable. Le dénouement est inattendu, avec des pertes, des nouveaux départs, possiblement ouverts sur encore, des aventures à imaginer soi-même.

Sandy Williams écrit avec beaucoup d’équilibre dans ce volume, là où la romance prenait le dessus dans le second tome ; celui-ci s’harmonise avec virtuosité. Sa plume est belle, parfois brute et puissante et de temps en temps lente et délicate, les dialogues sont naturels et la narration prenante. Quelques longueurs peuvent venir ternir le style, cependant, la forme narrative est à la première personne du singulier, alors les répits n’existent pas et l’action coule à flots. Une auteure à découvrir pour son monde travaillé, ses mots simples et son histoire débordante de nuance et d’intrigue. Le texte est fluide, et ce, grâce aux chapitres courts et réguliers sur leur taille.

Pour finir, je suis ravie d’avoir terminé cette trilogie, et, en même temps, je suis légèrement triste de laisser derrière moi McKenzie, Aren, Kyol et leurs amis. Ils ne vont peut-être pas m’accompagner longtemps dans mes souvenirs, en revanche ils m’ont tenu la main pendant quelques années. Le couple entre l’héroïne et le guerrier rebelle est une montagne russe, avec des hauts et des bas ; leur début est tout de même plus intéressant que cette union mise à mal par des secrets et un lien, des non-dits et une distance involontaire. Le triangle amoureux avec Kyol me laisse perplexe, de mon point de vue, il se présente pour combler des blancs. L’action est moins présente que dans le premier tome, il y a dans « Double vue » bien plus de faits et d’événements en rapport avec le pouvoir, la politique et le Royaume. L’aspect magique est moindre, surtout les aptitudes, elles sont très peu abordées. En dehors de ça, le suspense est attenant, jusqu’au bout du roman ; un page turrner seulement pour avoir le fin mot de l’histoire. Les émotions ne sont pas forcément exprimées, néanmoins, on ressent de l’énergie et une vive menace. L’écriture de Sandy Williams est au-delà de mes espérances après un deuxième livre plat, ici, on retrouve un peu le style du premier « Sidhe », harmonieux et efficace. Sa plume spontanée et recherchée offre énormément de générosité. Je ferme cette œuvre en étant satisfaite et je laisse mon esprit vagabonder encore dans les contrées de féerique, en pensant à une nouvelle trame après cette conclusion réussie et pleinement libre à être rêvé.


Note :
8.5/10.

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