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24 août 2022

Les oubliés du dimanche.


Titre : Les oubliés du dimanche.
Auteur : Valérie Perrin.
Genre : Contemporain.
Edition : Albin Michel.
Nombre de page : 379 pages.
Prix : 19.50€.


Résumé :

 Justine, vingt et un ans, aime les personnes âgées comme d'autres les contes. Hélène, presque cinq fois son âge, a toujours rêvé d'apprendre à lire. Ces deux femmes se parlent, s'écoutent, se révèlent l'une à l'autre jusqu'au jour où un mystérieux « corbeau » sème le trouble dans la maison de retraite qui abrite leurs confidences et dévoile un terrible secret. Parce qu'on ne sait jamais rien de ceux que l'on connaît.


Extrait :

 - Tu fais quoi ?
Je sursaute. Jules m'a fait peur. Je referme le cahier bleu.
- J'écris.
- Tu te prends pour Marguerite Duras ?
- D'où tu connais Marguerite Duras ?
- Un cours de français. J'ai trouvé ça chiant. J'espère que t'écris pas comme elle.
- Aucun risque. Ouvre la fenêtre.
- T'es de mauvais poil ?
- Nan. Tu sais que je supporte pas que tu fumes dans ma chambre.
- C'est surtout que je fume que tu ne supportes pas... T'es pas ma mère.
Jules ouvre la fenêtre et se penche en avant. Il fait un peu la gueule. Alors, je dis :
- Hier soir, il y a eu un nouveau coup de téléphone anonyme aux hortensias.
Il se retourne, je ne vois pas ses yeux.
- C'est quelle famille ?
- Va falloir que t'ailles chez le coiffeur. Celle de Gisèle Diondet. La toute petite dame avec des cheveux violets qui était mercière. Je t'en ai parlé la semaine dernière.
- Me rappelle.
- Avant, elle passait beaucoup de temps dans la salle des cartes et elle participait à tous les ateliers. Mais depuis le début de l'été, elle bloque avec les autres à la réception. Alors elle était là quand sa famille est arrivée à l'accueil avec les yeux rouges et des habits sombres.
D'une pichenette, Jules balance son mégot par la fenêtre. Demain matin, pépé le ramassera dans le jardin en bougonnant. Puis il le mettra dans une bassine d'eau avec les autres, une eau qu'il utilisera pour arroser ses rosiers et tuer les pucerons.
Il revient s'asseoir sur mon lit.
- Et ils ont dit quoi, la famille, quand ils l'ont vue... vivante ?
- Imagine le choc pour eux. Mais je pense qu'ils ont été un peu déçus.
- Comment ça, déçus ?
- Quand les vieux passent l'arme à gauche, ça veut dire fin de la culpabilité. C'est compliqué. C'est du chagrin qui se mélange à du soulagement.
- Et la petite vieille, elle a dit quoi quand elle les a vus 
- Au début, elle ne les a pas reconnus, mais elle était quand même contente. Surtout qu'à midi ils l'ont emmenée au restaurant. Tu sais, ça arrive souvent avec les anciens. Sur le coup, ils ne sont pas aimables avec la famille, mais après les visites, y a quelque chose qui change. Ils sont moins angoissés. En tout cas cet après-midi, Gisèle est retournée dans la salle des cartes. Ça faisait trois mois qu'elle n'y avait pas mis les pieds.
- Tu vois, ça sert à quelque chose ce truc anonyme.
- Tout à l'heure, madame Le Camus nous a tous convoqués pour nous annoncer que des policiers allaient enquêter intra-muros (j'imite sa voix pour faire sourire Jules) pour résoudre le mystère des coups de téléphone anonymes.
Mais Jules ne sourit pas.
- Il va y avoir des vrais inspecteurs et tout ?
C'est moi qui me mets à rire.
- Tu parles, c'est Starsky et Hutch qui sont sur l'affaire !
Jules se met à glousser. Starsky et Hutch sont les deux agents de ville de Milly. Les « cow-boys », comme tout le monde les appelle. Ils sont à quelques années de la retraite et ne seront pas remplacés. Il paraît qu'on les appelle comme ça depuis toujours. Ça date de bien avant ma naissance
 Il y en a un qui était brun et l'autre blond. Enfin ça, c'était avant. Maintenant ils sont tous les deux blancs. Pépé dit que ce sont les dernières personnes à appeler au secours en cas de malheur. Ils ne sont pas aimés à Milly, la bêtise est très difficile à expliquer, et eux la portent sur leur visage. Ils sont arrogants et ne saluent jamais personne. Quand ils tendent la main, c'est pour donner une contravention. Genre stationnement gênant. Mais qui peut gêner à Milly ? Les rues sont vides. Moi, ils ne me font qu'à moitié rigoler parce qu'ils sont quand même armés. Jules dit que leurs flingues sont des jouets. Mais je ne crois pas.
- À ton avis, qui appelle les familles ? me demande Jules.
J'observe son profil parfait. J'ai jamais rien vu d'aussi beau que le visage de Jules. Même avec des cheveux trop longs.
- Je sais pas. Ça peut être n'importe qui. En tout cas, c'est sans doute quelqu'un qui a accès au fichier des familles. Et qui connaît le nom et les habitudes des oubliés du dimanche.
- Le nom des quoi ?


Avis :

 À la suite de plusieurs retours positifs sur ce roman et cette auteure, je me suis enfin lancée dans l’univers de Valérie Perrin. Et je ne regrette pas cette lecture, en dépit d’une entrée difficile dans l’histoire. En effet, le récit se déroule en trois temps, celui de Justine, vingt et un ans, dans le présent ; de Hélène, une dame âgée où ses aventures passées sont révélées par le carnet bleu de l’héroïne, et enfin, les secrets enfouis sur la famille de cette dernière où on suit Eugénie et Armand, les grands-parents. Sur le début, les personnages se mélangent et se confondent les uns avec les autres ; petit à petit, on s’immerge dans ce présent/passé et les variations de point de vue. C’est une très belle œuvre, tout en tendresse, en amour, en mélancolie et en poésie. La plume de l’écrivaine murmure et chante à nos oreilles, elle adoucit les mœurs sur ses notes différentes ; hâtives et raffinées. « Les oubliés du dimanche », raconte au plus près le métier d’aide-soignante, le cœur d’une maison de retraite ; c’est touchant de vérité. Toutefois, je n’ai pas versé de larmes, je me suis juste envolée comme une mouette au côté des personnages.

Judith est une jeune fille, pas tout à fait femme. À peine la vingtaine et elle est dans le monde professionnel et pas dans le domaine le plus facile, néanmoins, celui-ci lui plaît. Passer des heures à échanger avec les anciens, les écouter et apprendre de leur vie, de leur sagesse. Les soigner, leur apporter du réconfort et du bien-être, c’est l’existence que s’est choisie cette protagoniste. Ses parents, ainsi que son oncle et sa tante sont morts, dans un accident de voiture quand elle était enfant. Depuis, elle est élevée par sa grand-mère et son grand-père, avec son cousin, qu’elle considère comme son petit frère. Judith est très spéciale, assurément à part et authentique. Je me suis prise d’affection pour elle et sa sollicitude envers les autres. Elle doute sur ce qu’elle ressent, et malgré sa curiosité sur la tragédie de ses parents ; elle est d’une loyauté inimaginable, capable de garder de lourds secrets. Une héroïne renversante, d’une sensibilité naturelle, son cœur apparaît dans notre esprit à travers ce récit, le sien et celui de ses rencontres, de ses connaissances. Parfois, elle est un peu éteinte concernant ses sentiments, cette fille est un mystère se dévoilant au fil de ses découvertes et de la richesse de l’ancien temps.

Le personnage de Hélène est très intéressant, elle est surtout particulière en raison de son illettrisme et de sa façon de percevoir la réalité. Elle est émouvante naturellement, sa force d’esprit et son cœur fragile, entre jeunesse et vieillesse, apprentissage et partage. Cette femme réveille, donne, livre, elle nous secoue. Sincèrement, elle est formidable, capable d’aimer au-delà des obstacles, et de pardonner. Elle sait où est sa place, malgré chaque évènement de la vie ; elle transpire de sagesse. Elle n’a aucune fierté, cependant, elle n’est pas faible ; juste pleine d’humilité et de respect. Dans ma lecture, je l’ai considéré comme étant un ange gardien, une guide pour Judith. Hélène n’est pas seulement une dame d’un certain âge, c’est surtout une fille, une épouse, une mère, une amie ; c’est la rencontre importante, celle de tout un chacun. Elle donne envie de la serrer dans nos bras, de prendre soin d’elle, de l’aimer ; tout simplement. Une héroïne inoubliable, d’une sincérité profonde et touchante de vérité ; elle transmet une leçon de vie en partageant son histoire. En effet, j’ai la sensation que cette protagoniste existe bel et bien, qu’elle est puisée de la réalité.

Ce roman exprime mille et une expériences, et laisse une empreinte sur notre existence. Deux femmes, deux générations, deux récits, là où l’une cherche les révélations de sa famille, l’autre voyage dans son passé pour y trouver la paix. La construction de ce livre n’est pas nouvelle, pour ceux qui aiment les histoires en plusieurs temps, mixant différentes perspectives ; je vous invite à découvrir « Un goût de cannelle et d’espoir » de Sarah McCoy. Ces deux ouvrages se ressemblent sur certains aspects. Néanmoins, il y a de l’originalité dans « Les oubliés du dimanche », dont les thèmes. De plus, le mystère se représente par le Corbeau, du moins, pendant la première partie ; ensuite, on le perce à jour. Le suspense est évident dans les secrets des ancêtres de Judith, et la romance de Hélène. Vont-elles trouver les réponses, là est la question. Pour ma part, je suis un peu déçue sur la mise en valeur des émotions, bien que ce soit un beau texte, les sentiments me sont parfois passés au travers. L’amour se perçoit, tout comme la nostalgie, les sujets sont riches, et principalement le lieu de la maison de retraite.

Valérie Perrin possède cette plume marquante, par sa somptuosité et sa grâce. Et, malgré quelques longueurs au commencement, son style est très agréable. Ses mots coulent comme un chant d’oiseau, comme l’eau de source ; ses phrases sonnent en signification et en portée sur l’âme. Elle alterne entre passé et présent, sur deux voix ; c’est brillant et saisissant de réussite. Sa manière de décrire les lieux, les personnages est magnifique, Valérie accompagne les éléments par des nuances de poésie. Je regrette uniquement la brutalité du dénouement, ne correspondant pas tout à fait au rythme du récit. Quoi qu’il en soit, cette lecture est une merveilleuse surprise, l’écriture de cette auteure est florissante, toute en harmonie par sa fluidité.

Ce n’est pas un coup de cœur, encore une fois, les histoires sur plusieurs périodes me perturbent légèrement. En dehors de ça, j’ai tout de même chéri cette découverte, pleine de valeur, d’énigmes, de bons et mauvais sentiments, d’esprit, de vie et de cœur. Judith est douce, sans aucune amertume, aimante au-delà de l’imaginable ; je me suis attachée à sa bienveillance et à ses incertitudes. Hélène paraît bien plus femme, même durant son jeune âge ; elle se sent en retrait à cause de son incapacité à déchiffrer les mots. Sur le début, elle donne mal au cœur, j’ai ressenti beaucoup de peine pour l’enfant qu’elle a été. Une protagoniste débordante de sens, elle entraîne de la réflexion. L’échange entre ces deux femmes, leur relation, révèle tellement de chaleur ; ensemble elles donnent diverses interprétations à l’existence. L’authenticité de ce récit est forte, à l’exception de son élaboration déjà vue ; principalement dans « Un goût de cannelle et d’espoir », cela demeure un style fascinant. C’est contemporain et moderne, toutefois, cela n’empêche aucunement le suspense de s’insérer dans l’histoire et d’apporter sa touche étonnante. Par ailleurs, cela n’enlève pas la sincérité ou les vérités que l’auteure a souhaité transmettre. Les émotions n’atteignent pas continuellement notre âme, cependant, ce sont les pensées naturelles de l’ensemble qui nous bousculent. Valérie Perrin signe un roman à deux voix, rédigé par des mots simples, sensibles et généreux ; une auteure détenant une plume pleine d’humanité et de ressources. Cette œuvre n’est pas à mettre dans l’oubli, elle s’appuie sur du savoir, de l’observation et du discernement.


Note :
8.5/10.

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