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18 août 2022

Les yeux couleur de pluie, Tome 2 : Entre mes doigts coule le sable.


Titre : Les yeux couleur de pluie, Tome 2 : Entre mes doigts coule le sable.
Auteur : Sophie Tal Men.
Genre : Contemporain.
Edition : Le Livre de Poche.
Nombre de page : 313 pages.
Prix : 7.70€.


Résumé :

 Pas facile de concilier médecine et vie privée quand on est interne à l'hôpital ! Marie-Lou - qui a quitté sa Savoie natale pour Brest - et Matthieu - le ténébreux surfeur - sont tombés amoureux au premier regard. Mais entre leurs stages en psychiatrie et en neurochirurgie, les nombreuses gardes à effectuer, les apéros au Gobe-mouches et les fêtes carabines, leur histoire d'amour n'est pas un long fleuve tranquille. C'est plutôt la valse des sentiments... surtout quand leurs proches deviennent leurs patients. Matthieu parviendra-t-il à vaincre ses peurs et à laisser Marie-Lou entrer dans sa vie ? Marie-Lou apprendra-t-elle à laisser glisser le sable entre ses doigts ?


Extrait :

 Avec l'aide d'Éric, j'ai appris petit à petit à apprivoiser Tournos et je me sens de plus en plus à l'aise avec lui. J'aime sa bienveillance et son écoute attentive. Son respect des patients, ses analyses justes et fidèles de leur pathologie. Est-il moins exubérant qu'il n'y paraît ? Ai-je décrypté ses codes ? Peut-être les deux. Le premier jour, je l'ai vouvoyé, ce qui l'a fait pester. Le deuxième, j'ai évité le « tu ». Le troisième, j'ai pris le plu anglo-saxon et le quatrième, je l'ao appelé Hubert le plus simplement du monde.
- Marie-Lou s'est bien fait rembarrer tout à l'heure, déclare Éric en me voyant arriver. Tu aurais vu ça, Hubert.
Tournos hausse les épaules et m'interroge du regard.
- Je ne sais plus quoi répondre au gastro-entérologue, finis-je par marmonner. Grégoire Philbert ne peut pas avoir des fibroscopies toutes les semaines, ce n'est pas possible. Je ne sais plus quoi faire. Supprimer toutes les fourchettes du service ? Je suis sûre qu'il trouverait autre chose. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi... Pourquoi se fait-il du mal ? Pourquoi de cette manière-là ?
La visage d'Hubert s'anime de rictus incessants.
- Grégoire est très anxieux depuis quelques semaines. Le décès de son père l'a complètement déstabilisé. C'est sa façon de calmer ses angoisses.
- En avalant des couverts ?
- Oui... C'est une automutilation comme une autre. Il cherche à se faire du mal. Ses idées délirantes lui paraissent insurmontables, il ne reconnaît plus le monde dans lequel il vit. Ça s'impose à lui brusquement et il passe à l'acte.
- Et on fait quoi ? À court terme ?
- Ha ha ha ! Marie-Lou et ses réflexes d'urgentiste !
Je ne vois vraiment pas ce qui le fait éclater de rire. Je ne vais quand même pas le laisser s'exploser le ventre toutes les semaines ?
- On le rassure, on le recadre, continue-t-il. Bref, on poursuit notre travail de longue haleine.
J'aspire doucement ma gorgée de thé chaud en écoutant mon maître-penseur et tourne en boucle sa dernière phrase dans ma tête : « un travail de longue haleine... »
- Chi va piano va sano, comme dirait mon grand-père.
Hubert me sourit comme si j'avais tout compris.
- Rien ne sert de courir, il faut partir à point, aurait dit le mien, ajoute-t-il.Il n'a sans doute pas tort. Le propre des maladies chroniques n'est-il pas notre impuissance à les guérir totalement ? Il faut l'accepter et considérer chaque progrès comme une petite victoire. Ma victoire à moi serait que Grégoire Philbert arrête d'ingérer ses fichues fourchettes !
En sortant du service, je réalise que ce mois de mai est passé à toute vitesse. Mon monde oscille entre Bohars et le port du Moulin-Blanc. Entre Bohars et Matthieu.
Il m'a fallu quelques semaines pour que ça devienne une évidence. L'envie de tout partager, la règle du « jamais rien sans lui ». Le marin solitaire et son chien m'ont fait une place dans leur bateau et j'essaie de me faire la plus petite possible. Pas question de jouer à la femme d'intérieur et de toucher au désordre de l'ex-célibataire. Tout reste à sa place : les tablettes de chocolat périmées dans les placards, les os mordillés d'Écume sur la banquette. Seule la petite étagère au-dessus du lit m'est réservée et j'y entasse quelques habits. Le strict minimum.
Ce soir, Matthieu m'emmène en croisière. Une semaine de vacances. Nos premières vacances ! Je vais enfin sortir de la rade de Brest.
- Tu n'auras jamais été aussi proche de l'Amérique ! m'a-t-il chambrée.
- Pas faux.
J'ai hâte.
Un sentiment d'excitation mêlé d'angoisse. Comment vais-je réagir en pleine mer ? Je n'ai pas posé le lui dire mais ça m'allait bien de rester amarrés au ponton. Juste ce qu'il faut comme tangage, le clapotis de l'eau sur la coque... Ce grand gamin prend un malin plaisir à me cacher notre destination et veut absolument me faire la surprise. S'il savait ce que mon imagination me fait endurer depuis quelques jours ! Les rêves de transatlantique, de démâtage, de vagues de cinq mètres. Je me réveille en travers du lit, les draps en boule au-dessus de ma tête et je rigole toute seule. Me prend alors l'envie de ne plus réfléchir, de me laisser porter.
Laisser couler le sable entre mes doigts. Faire confiance et larguer les amarres.


Avis :

 Une suite à la hauteur du premier livre « Les yeux couleur de pluie », je suis plutôt satisfaite de cette lecture ; en dépit d’un manque de développement sur les émotions des personnages. On retrouve donc Marie-Lou et Matthieu, deux étudiants en médecine, difficile de concilier vie personnelle et vie professionnelle. Ils vont devoir trouver un équilibre, et principalement le héros qui n’est pas encore prêt à envisager une relation stable et durable, se dévoiler n’est pas naturel chez lui. Le passé est de retour pour Matthieu, Marie-Lou découvre une nouvelle spécialité, et pas des moindres. C’est un roman à la fois léger et puissant, avec des péripéties drôles, douces et un peu sauvages, brutes. Les chapitres sont courts, en prime, les changements de point de vue entre nos deux protagonistes. L’auteure rédige une belle histoire, malheureusement, ce n’est pas suffisamment pour un récit contemporain, les boomerangs émotionnels et des scènes précipitées entraînent une absence de bouleversements.

Marie-Lou est interne, cette fois, elle n’est plus en neurologie, mais en psychiatrie. Un univers différent pour elle, toutefois, elle se prend au jeu et devient amie avec son chef de service. Elle semble plus ouverte sur le monde depuis sa rencontre avec Matthieu, malgré ses doutes envers son amour pour elle, c’est une protagoniste forte et indépendante ; c’est ce qu’on découvre au fil des pages de ce deuxième volume. Je ne me suis pas spécialement prise d’affection pour elle, sa façon d’être est abordée simplement, sans faux-semblants. Son caractère rempli de cœur et de partage donne énormément de pouvoir à l’histoire, elle offre de l’amour avec un grand A. Alors, je l’ai apprécié, sans pour autant être transportée par Marie-Lou, il y a des petits néants à propos de ses sentiments, de ce qu’elle pense au plus profond d’elle-même. En comparaison de l’œuvre précédente, elle s’ouvre légèrement et s’affirme comme une femme, un tempérament bien trempé accompagné par une âme généreuse.

Le personnage masculin, Matthieu, se métamorphose encore plus, et pas forcément dans le bon sens. Déjà, c’est un « loup solitaire », et dans ce tome, il est sans intelligence. C’est un homme tellement secret, impénétrable ; le cerner et le décrire n’est pas une tasse de thé. Je l’ai trouvé moins charmant, ses réactions sont complètement illisibles et peuvent porter à de l’agacement pur et dur. C’est quelqu’un de sensible, de par son comportement, cela se devine facilement ; ce n’est en aucun cas une raison de l’apprécier. Matthieu est néanmoins quelquefois touchant dans ses gestes, capable de prendre un enfant dans ses bras, d’offrir des seaux d’algues à celle qu’il aime, de protéger un ami en souffrance, de tenter de ne pas décevoir sa mère. Loin d’être un cœur de pierre, c’est un garçon abandonné par son père ; une quête d’identité et de compréhension l’attend pour enfin tourner la page.

J’affectionne énormément le thème de cette trilogie, celle de l’hôpital, des gardes, des patients à soigner. C’est réellement un sujet passionnant et différent de mes habitudes littéraires, malgré le genre contemporain dont je raffole de plus en plus. La romance à l’intérieur de ce synopsis est sympathique, cependant, ce n’est pas tout à fait ce que j’espérais pour cette suite, la profondeur n’y est toujours pas et la relation entre nos deux personnages semble stagner. Marie-Lou et Matthieu ne se promettent rien, ils sont juste ensemble ; dans « Entre mes doigts coule le sable », ils ne communiquent plus vraiment et se fuient pour éviter tout malentendu. Heureusement, les rebondissements se font et livrent un rythme intense, ils sont souvent dans la rapidité, rudement expédié au fin fond de la quantité des péripéties. J’ai pris le large avec ce récit, au-delà de Brest, un bout de l’Île de Groix fait son apparition. Les émotions ne prennent pas le dessus sur les sujets, j’ai la sensation que c’est voulu de la part de l’auteure. J’ai vécu un apprentissage et des instants de sagesse à travers ce livre, c’est là, l’importance de cette histoire. La richesse des termes médicaux, des moments passés au sein de l’établissement de santé et principalement en psychiatrie expriment de la surprise, les changements de domaine sur la santé portent un nouveau souffle essentiel, puisque le reste du texte est répétitif ou vivote dans les questionnements intimes.

La plume de Sophie Tal Men est simple, d’une vivacité terre à terre ; en dehors des passages cocasses où elle déverse un peu de joie et de sentiment bon enfant. Ses mots coulent en effet comme le sable, beaucoup de rythme et de fluidité. Cependant, je suis déçue par cette absence d’émotion, l’auteure révèle seulement des nuances de sentiment sans les approfondir pleinement. Dans le fond, elle transmet son expérience en médecine, entre fiction et réalisme, l’ensemble survole les clés pour émouvoir le lecteur. L’équilibre entre narration et dialogue est clairement à la frontière, les pensées intérieures peuvent s’éloignent au profit des échanges de temps en temps inutiles.

Ni plus ni moins que le premier roman, la traversée continue dans le secteur de la santé. Le monde hospitalier est intéressant, racontée par le vécu de Sophie Tal Men, les sujets sont divers et variés, entre neurologie, psychiatrie et des syndromes inconnus. On suit les aventures de Marie-Lou et de Matthieu, un couple où les sentiments restent silencieux, les non-dits, les échappatoires de l’un et de l’autre. Matthieu n’y est certainement pas pour rien, le départ de son père est encore ancré en lui et l’empêche de connaître le grand bonheur de l’amour. Quant à Marie-Lou, elle répand bien trop d’altruisme et ne prend pas le temps d’écouter son compagnon, tout comme lui avec elle. La relation n’avance pas, elle est même proche de reculer ; la fin laisse planer des doutes sur l’évolution de celle-ci. Une originalité et de l’étonnement sur ce récit, par contre, les égarements se répètent, quelques coupures durant certains passages, des instants paraissant importants où les détails sont réduits. Le développement est présent, exclusivement pendant les précisions sur les pathologies. Au-delà, c’est le calme plat, les sentiments ne puisent pas au cœur des protagonistes ; la sincérité est tout de même une valeur. Le côté spontané de Sophie Tal Men est rafraîchissant, une écrivaine pleine de force et capable de transmettre des messages précieux, sa plume est plaisante abstraction faite de ses lacunes dans les éléments émotionnels et son récit fougueux. L’intrigue se poursuit dans le troisième et dernier tome, et je garde espoir pour trouver plus de profondeur.


Note :
7.5/10.

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