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24 févr. 2021

La délicatesse du homard.


Titre : La délicatesse du homard.
Auteur : Laure Manel.
Genre : Contemporain.
Edition : Le Livre de Poche.
Nombre de page : 346 pages.
Prix : 7.70€.


Résumé :

 François, directeur d'un centre équestre en Bretagne, découvre, lors d'une promenade à cheval sur la plage, une jeune femme inconsciente au pied d'un rocher.
Plutôt que d'appeler les secours, il décide sans trop savoir pourquoi de la ramener chez lui pour la soigner. À son réveil, l'inconnue paraît en bonne santé, mais peu encline à parler. Elle dit s'appeler Elsa mais refuse de répondre à ses questions. Commence alors entre le célibataire endurci et cette âme à vif une étrange cohabitation, où chacun se dévoile peu à peu à l'autre sans pour autant totalement révéler les secrets qui le rongent. Et même si le duo en s'apprivoisant s'apaise, leur carapace peine à se fendre.
Qui est Elsa et quelle vie est-elle en train de fuir ?
Un roman à deux voix. Deux voix qui se racontent, et se taisent. Deux voix qui laissent place aux pas des chevaux, au vent qui plie les herbes sur la dune, au ressac sur le rivage et aux souvenirs échoués sur le sable.


Extrait :

 Au début du repas, elle me relate son aventure du jour avec force détails. Son enthousiasme discret me fait plaisir. J'ai face à moi quelqu'un de différent d'il y a quelques jours.
- En fait, j'ai envie de vous poser des questions, mais je n'ose pas car je vous ai interdit de m'en poser..., me glisse-t-elle.
Je souris.
- Lesquelles, par exemple ?
- Votre âge...
- Trente-sept ans.
- Votre situation matrimoniale.
- Célibataire. Sans enfant.
J'omets de dire que je suis divorcé. J'omets de dire que j'en ai eu une. Je n'ajoute pas « Votre Honneur » au bout de ma phrase : je ne sais pas si elle apprécierait, et j'ai envie d'être sérieux.
- Célibataire ? Mais hier soir...
Sa curiosité, non dénuée d'aplomb, m'amuse.
- Célibataire, mais pas chaste. Ça vous va comme réponse ?
Elle sourit, mais je lis sur son visage l'ombre d'une inquiétude.
- Ça vous choque ?
- Non, bien sûr que non. Je ne suis pas coincée...- Mais vous ne cautionnez pas.
- Qui je serais pour juger ? Chacun fait comme il veut.
- Je suis sûr que vous êtes plutôt du genre romantique...
- ...
- Vous croyez au grand amour ?
- Pas vraiment.
- C'est-à-dire ?
- Pas pour moi, en tout cas... D'ailleurs je ne crois en rien.
Revoilà ses pensées noires ou je me trompe ? Je me décide à me livrer, un peu.
- Moi, j'y crois parce que je l'ai vécu. Normalement, c'était pour toute la vie, hein, mais ça s'est mal terminé...
- Ah...
- Du coup, j'ai trouvé la parade : je ne m'engage plus !
- C'est une vision des choses...
- Et vous ?
- Pareil que vous, célibataire. La chasteté en plus. Enfin non, se reprend-elle, pas vraiment pareil : je n'ai jamais connu le grand amour, et même...
Elle s'arrête dans son élan, prise d'un vague à l'âme bien perceptible.
Je me demande ce qu'elle aurait ajouté. Je ne le saurai jamais. Tant pis. Déjà, j'ai pu lui poser une question. Et elle y a répondu. C'est dingue ! J'ai gagné ma soirée.


Avis :

 En ouvrant ce roman, j’ai pensé aller vers une histoire légère et douce. Ce n’est pas entièrement le cas. En effet, la plume est plutôt naturelle, très frivole, que ce soit la narration ou les dialogues, le ton est superficiel. Une écriture à la première personne du singulier, sur un accord à deux voix ; je me suis laissée séduite par le style, sans être totalement enthousiaste. Le manque de profondeur sur certains passages, le vocabulaire négligé sont les principaux motifs. Toutefois, j’ai beaucoup apprécié les chapitres courts, les pages se tournant facilement et l’art du mystère de cette œuvre. Le suspense est de mise, durant une grande partie du récit ; c’est d’ailleurs pour ce ressenti de curiosité envers les secrets de l’héroïne et du héros, qui m’a poussé à continuer jusqu’au bout. Je préviens, ce livre est perçu comme étant un contemporain, mais c’est plutôt une romance dans toute sa splendeur. En dehors de ça, cela reste une très belle découverte, tendre, pleine de surprises et de temps en temps bouleversante.

François vit en Bretagne et gère un centre équestre, pendant une balade à cheval ; il aperçoit une femme et sans rien savoir d’elle, la loge chez lui pour un temps indéterminé, mais temporaire. Au début, je n’ai pas réussi à cerner ce personnage, mais, petit à petit, je l’ai trouvé vraiment charmant dans sa façon d’être. Quelquefois brusque et maladroit dans ses paroles ou gestes, sa franchise est une vraie bouffée d’air frais. Il est attentionné à sa manière, après plusieurs années sans avoir vécu avec une femme ; il se révèle parfois timide tout en étant aussi très instinctif. Sa promesse de ne plus s’engager s’explique par son passé, et c’est une attitude louable. Son envie d’aider cette femme est sans arrière-pensées, toutefois, ce n’est pas spécialement vrai envers une réalité. De plus, François est du genre incohérent dans sa tête, c’est un trait à la fois agaçant et séduisant, cela le rend unique ; en outre, c’est quelqu’un de drôle, son humour est chaleureux et rafraichissant.

Une femme d’une trentaine d’années, disant s’appeler Elsa. Mais, Elsa, n’est pas encline à parler d’elle, et encore moins de dévoiler son passé. Elle est étrange comme fille, je n’ai pas apprécié son côté dépréciatif envers elle-même. Une héroïne de temps en temps désespérante, ses pensées sont tellement empoisonnantes que je me suis fixée là-dessus au point de faire abstraction de la plupart de ses qualités. Elle s’est immobilisée dans son passé, et ses traumatismes ne lui permettent plus d’avancer. Aussi, elle se focalise sur l’amour de son entourage envers elle, et dans son esprit et son cœur, elle est une mal-aimée. À la fois légitime et inimaginable comme vision du monde, au fond, Elsa m’a fait mal à la poitrine, je me suis sentie impuissante pour elle. Et puis, je me suis prise d’affection pour ses doutes, ils peuvent paraître futiles, et, pourtant, un jour vient, et les mêmes incertitudes nous appartiennent. Derrière ses cicatrices profondes, son vécu émotionnel douloureux ; c’est une protagoniste forte et courageuse. S’enfuir, partir et tout recommencer, sans connaître notre destination ; je trouve ça particulièrement intrépide.

Dans les faits, ce livre est surprenant, avec, toujours, des questions en suspens et des révélations au fil de la relation entre François et Elsa. Certes, c’est un contemporain, mais c’est principalement une histoire de reconstruction, de recommencement, d’amitié ambiguë et donc d’amour. Sur la première moitié du livre, le récit stagne énormément, et l’ennui pointe son nez ; heureusement par la suite, je me suis passionnée par les péripéties et l’évolution entre nos deux héros. Je suis mitigée à propos des émotions, parallèlement mielleuses et émouvantes, les drames de Elsa et de François se ressemblent et se différencient, ils prennent du temps à se livrer ; forcément sur le fond c’est renversant. Ensemble, ils vont cohabiter, dans une forme d’évitement pour commencer, et ils déclenchent au fil du temps passer en compagnie de l’un et de l’autre, par s’apprivoiser de la plus délicate des façons. Ils se réparent aux sons de leurs confidences, et de leurs silences. « La délicatesse du homard » est une mélodie d’espoir pour deux cœurs meurtris et rassemblés par le hasard ou le destin. Les thématiques sont un mélange de déjà-vu et d’inconnu, avec une base et des contextes à part, accompagnés par le deuil et l’acceptation de soi, courant dans ce style d’ouvrage. C’est une histoire de sauvetage, sur les côtes bretonnes et les chevaux en paysage, j’ai exhalé l’air marin et le vent soufflant pendant ma lecture ; une belle sensation de liberté.

Laure Manel possède cette écriture très spontanée, sur un langage du style usuel ; presque oral. Cela se laisse lire, je ne pense, juste pas garder un quelconque souvenir marquant de sa plume. Sa signature est dans les changements entre les deux voix, menés à la baguette, comme une magicienne ; l’auteure se met à la place d’un homme très facilement et pense réellement comme une femme. Le vrai point positif est dans la construction des chapitres, très rythmés et courts ; les pages se tournent prestement. Malgré quelques aspects négatifs, je songe à continuer mon initiation avec Laure Manel parmi ses autres romans.

Ce roman est une chanson dramatique et romancée, sur une douce mélodie. L’écriture de l’auteure est sans doute, le plus décevant, du moins sur cette lecture. Toutefois, Laure Manel sait nous emmener en balade dans les coins inconnus de la Bretagne et manier deux esprits, masculin comme féminin. François est un personnage vraiment intéressant, je l’ai bien aimé, ses contradictions ne sont pas toujours les bienvenues, néanmoins, cela lui donne vraiment cette différence, qui le caractérise. Concernant Elsa, je me sens réservée, elle est complexe à apprécier pour ses valeurs, la douleur la ronge de bout en bout. Sa personnalité est forte, les limites sont atteintes pour la souffrance ; mais elle trouve une issue et tente de se battre pour s’en sortir. Deux âmes sur le fil du rasoir, tombées dans une addiction ou une dépression, ils vont se sauver mutuellement par petit pansement, par de brefs échanges et s’apporter un manque de quelques années ou de toujours ; l’amour. « La délicatesse du homard » brille par son mystère intense, ses secrets étouffant, et jamais libérés. Par contre, les sentiments peuvent s’allumer et s’éteindre d’un claquement de doigts avec cette œuvre, et laissent sans cesse un goût amer. Une lecture divertissante, une moitié assommante et un enchaînement devenant passionnant, cette histoire d’amour signe un trait sur les pertes et le temps vécu dans les tourments.


Note :
7.5/10.

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