Titre : Au petit bonheur la chance !
Auteur : Aurélie Valognes.
Genre : Contemporain.
Edition : Le Livre de Poche.
Nombre de page : 384 pages.
Prix : 8.20€.
Résumé :
1968. Jean a six ans quand il est confié du jour au lendemain à sa grand-mère. Pour l'été. Pour toujours. Il n'a pas prévu ça. Elle non plus. Mémé Lucette n'est pas commode, mais dissimule un coeur tendre. Jean est un tourbillon de fraîcheur pour celle qui vivait auparavant une existence paisible, rythmée par ses visites au cimetière et sa passion pour le tricot. Chacun à des étapes différentes sur le chemin de la vie, Lucette et Jean vont s'apprivoiser en attendant le retour de la mère du petit garçon. Ensemble, ils découvrent que ce sont les bonheurs simples qui font le sel de la vie.
Extrait :
- Tu me fais peur parfois, mon petit. Si tout le monde allait au supermarché, qu'adviendrait-il de M. Lestrange le boucher, ou de Mme Ricin la boulangère. Et puis, je ne vois pas pourquoi on irait acheter nos légumes là-bas alors qu'on a la chance d'avoir les nôtres au potager. Tu sais combien d'année il m'a fallu pour obtenir une place ?
- Mille ans ?
- Pas autant. Mais on attendrait encore nos bintjes si je n'avais pas de bonnes relations avec Mme Bellanger, notre voisine du dessus. Elle travaille pour la ville et elle connaît tout le monde.
- En vrai, Mémé, je crois que j'en ai un peu marre de manger des patates tous les jours ! Moi, j'aimerais bien des oeufs en gelée ! On en avait parfois le dimanche, avec Maman. Et puis, le potager, c'est loin de chez nous, il faut jardiner, arracher les mauvaises herbes. Moi, j'aime bien quand c'est plus rapide.
- Qu'as-tu donc de si urgent à faire ? demande Lucette en soupirant devant de telle âneries. Tu cherches des occupations ? Tu veux venir au lavoir avec moi ? Demain, on passera la journée au potager avec Anita et tes cousins, et on verra si tu oses encore me dire que tu préfères le Codec.
- Au fait, Mémé, pourquoi tu n'as pas de frigidaire ?
- Parce qu'on n'en a pas besoin.
- Bah si quand même. Pour le beurre, le lait...
- Tu n'en as pas marre de toutes tes questions ? Moi, si.
Jean fait une moue boudeuse. Sa grand-mère l'ignore, mais, devant cet air de chien battu, elle finit par lui répondre, en soupirant :
- On n'a rien trouvé de mieux depuis le torchon humide sur le rebord de la fenêtre. Le réfrigérateur, c'est le début du gâchis.
Mémé s'arrête net devant une échoppe.
- On est arrivés. Il y a la queue chez le boucher, dis donc. Bon, tu te mets dans la file. Tu ne doubles personne et ne te fais pas dépasser non plus, entendu ? Pendant ce temps-là, je vais rapidement à la boulangerie acheter notre bâtard sans sel. Si le boucher te demande ce que l'on veut, tu dis « deux tranches de foie de veau très fines », tu as compris ? Non, finalement, n'en prends qu'une, très fine, entendu ?
- Encore du foie de veau ?
- C'est bon pour ta croissance. Qu'est-ce que tu lui dis au boucher ?
- Je ne me rappelle plus... Ah si, une tranche de foie de veau très fine. OK. Foie de veau très fine... répète-t-il inlassablement, pendant que Lucette s'engage dans la boulangerie sur le trottoir d'en face.
Bon pour la croissance, tu parles, ils font le même coup avec les épinards !
Lorsque vient son tour, M. Lestrange, le boucher, se penche par-dessus le comptoir et s'adresse à Jean :
- Bonjour mon petit bonhomme, tu es avec qui ?
- Une tranche de foie de veau... répond-il très concentré. Euh, avec Lucette, elle arrive tout de suite. Elle cherche son bâtard.
- Et donc, ce sera du veau, pour Monsieur ?
- Oui, je souhaiterais, s'il vous plaît Monsieur le boucher, une tranche... de veau... en foie... très fine. Merci.
Avis :
Après ma lecture de « Mémé dans les orties », j’ai souhaité continuer l’aventure Aurélie Valognes. Et c’est encore une très belle découverte, avec de l’amour, de l’humour et une touche de sensibilité. L’histoire se déroule dans les années 1965 et 1975, un retour en arrière charmant et intéressant. Elle se compose de plusieurs héros, dont Lucette, la mémé et Jean, le petit-fils curieux, bavard et maladroit. J’ai suivi leur vie, leurs espérances, leurs rêves et leurs déceptions. Dans certains passages, j’ai été sur le point de crier ; les gauchers sont mal vus à cette époque et c’est tellement injuste… Clairement, c’est un livre à la fois contemporain et historique, déroutant et informant. Tout en étant léger par les instants de joie et de rire.
Petit Jean est un garçon vraiment attachant. Et pour ses 6 ans, il est plutôt intelligent et réfléchit. Un enfant délaissé par sa maman, sa peine et sa mélancolie sont des plus vrais. Il n’est pas plus haut que trois pommes et pourtant il avance dans sa vie. J’ai trouvé ça beau, ce petit bonhomme courageux ; admirable dans sa façon d’être et de gérer cette situation difficile. Bien évidemment, il n’est pas indulgent pour son âge, le pardon est inconnu pour lui. Au final, c’est son apprentissage de l’existence, son évolution d’enfant à presque jeune adolescent ; jusqu’à devenir adulte un peu trop tôt qui forment le récit.
Mémé Lucette est une mamie à la fois idéale et fragile, pour prendre en charge des enfants sur plusieurs mois. Elle est tellement forte, cette dame, surtout avec les pertes qu’elle a connues ; celle d’un enfant et celle de son mari. J’ai ressenti beaucoup de vénération pour l’héroïne qu’elle incarne, c’est-à-dire, la grand-mère un peu taciturne, mais toujours prête à donner de son amour à qui le veut bien. Dans mon cœur, j’ai eu cette envie et ce ressenti de vouloir la connaître réellement, de la serrer dans mes bras. Certes, elle a des idées un peu arrêtées et n’est pas tout à fait prête à évoluer en son temps ; toutefois, elle reste ouverte d’esprit, à l’écoute des autres.
Ce roman commence fortement, l’intrigue prend place dès les premières pages et nous fait rentrer dans un autre temps, cinquante ans en arrière. Un synopsis de famille, principalement centrée sur l’enfance de Jean. L’abandon d’une mère, la recherche de liberté de celle-ci, la difficulté de cette époque pour les femmes et les mœurs se transformant petit à petit. L’authenticité se fait bien ressentir, pourtant cela est, pour être sincère, une histoire comme une autre ; simple dans sa construction. La richesse du savoir sur ces années passées sont d’une importance capitale et apporte le sens au récit, sans les renseignements, les précisions sur le déroulement de la vie pendant cette période ; le livre ne possèderait pas de lumière. En dehors de l’écriture légère et pleine d’expressions amusantes, « Au petit bonheur la chance ! » révèle et déverse des émotions douces ; parfois puissantes. Le fait est que, cela parle de l’enfance et de la vie, rien n’est plus touchant que cette vérité.
On retrouve immanquablement cette écriture à la troisième personne du singulier, pourtant, dans cette œuvre ; cela paraît beaucoup moins gênant. Aurélie Valognes a une plume à la fois légère et sincère, un mélange bien équilibré entre humour et bouleversement. J’ai pris plaisir une nouvelle fois à lire ses mots, de plus les chapitres sont courts, permettant une lecture sans temps mort.
« Bonheur », ce mot est dans le titre et on l’identifie plusieurs fois dans l’histoire ; c’est un peu le message de cet objet. Un récit puissant de réalisme, sur les mentalités de cinquante ans jadis. J’ai seulement abordé les personnages de Jean et de Lucette, mais il y a des protagonistes secondaires essentiels comme Françoise et Lucien. D’ailleurs, les héros sont le point fort du roman, je me suis très facilement prise d’affection pour eux, pour cette famille remarquable. Une lecture tendre, chaleureuse et généreuse ; avec des thèmes percutants et une sensibilité profonde au-delà d’une écriture feel-good et simple pour être accessible. Dans ce synopsis, c’est un chemin entrecroisant la vie des adultes et l’existence des enfants, un chant remerciant l’amour du sang et une prise de conscience, que l’amour d’une mère est éternel malgré ses erreurs et faiblesses.
Note :
8.5/10.
J'avais beaucoup aimé ce roman, c'est un de mes préférés de l'auteure !
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